cogitation huitième

Ces derniers temps je pense beaucoup à l'état de créateur versus l'état de consommateur. J'ai toujours voulu me considérer comme une créatrice. J'aime peindre, écrire, inventer des images et des histoires. Mais je ne suis pas très bonne dans le fond. Je ne suis pas assez impliquée dans mon art. J'ai un "vrai" travail, je n'ai "pas le temps", je suis "fatiguée". Au final je fais ces choses plus pour m'amuser qu'autre chose.

Qu'est-ce qu'un artiste, un créateur ? Selon moi c'est quelqu'un qui donne du sens au monde, qui lui donne une forme qui vaille la peine de s'y intéresser. Tout est absurde et sans intérêt, sans but. Tout ce qu'on fait, tous nos projets, nos rêves, nos souffrances, nos réussites. A la fin on meurt, et un jour le monde disparaîtra, et peut-être tout l'univers aussi. Tout cela ne sert à rien, au sens large. Nous ne somme qu'une molécule d'eau dans le vaste océan du cosmos. Avec ou sans nous, rien ne change, nous ne faisons aucune différence, nous ne feront aucune différence, peu importe à quel point on souffre, à quel point on est heureux, ces choses n'existent que dans notre tête.

Ce n'est pas grave, ça n'empêche pas de faire au mieux, au moins pour soi-même. Mais tout de même, ça n'a pas de sens. La vie est juste un amalgame de sensations, de visions, d'odeurs et de sons, sans queue ni tête.

Mais je pense que l'artiste peut piocher dans ce magma, dans cette bouillie informe, les plus belles couleurs, les termes les plus poétiques, les sons les plus magiques. Il peut les piocher et les mettre dans un ordre qui évoque la beauté intrinsèque du monde, cette beauté qui nous est cachée par la masse des horreurs et l'écrasante banalité du quotidien. L'artiste crée de l’ordre, et dans cet ordre la beauté est mise à nue, on peut l'admirer sous tous ses angles.

Alors enfin on se dit que tout cela sert peut être à quelque chose au final. Tout cela sert à cette création ultime. Un instant seulement de clarté, qui disparaîtra bien vite, mais qui justifie tout le reste.

Et en ce sens je suis tout sauf une artiste. Ce que je fais ne sont que des jeux d'enfants. Rien n'en ressort. Je ne suis pas assez impliquée, je ne me sacrifie pas, je refuse l'abandon et la discipline intense que requiert la création. Je suis juste une pauvre imitation de ce que je pourrait être si je choisissait de réellement dédier ma vie à l'art. Mais je suis trop peureuse, trop faible.

Alors que devrais-je faire dans ce cas ? Je me suis rendue compte que, plus que créer, ce que je préfère c'est consommer. Je regarde, je lis, j'écoute. Le monde regorge d’œuvres merveilleuses, et je veux en consommer le plus possible. C'est une solution de facilité. Pourquoi se sacrifier quand on peut juste profiter du sacrifice d'autrui ?

Je m'en suis voulu pendant un temps. Je ne voulais pas enterrer cette version idéale de moi-même que j'avais fantasmée depuis si longtemps. Alors j'ai continué à faire des efforts dans le vide. Des efforts sans volonté de briser les limites, des efforts mous et pathétiques, sans réelle discipline derrière pour les soutenir. Du déni ou de l'hypocrisie, ou peut-être les deux.

Si vraiment j'avais voulu être une artiste, rien d'aussi trivial que la fatigue ne pourrait m'arrêter. Mais je n'aime pas faire des efforts, je n'aime pas donner de ma personne. Je veux juste me reposer, et consommer le produits des efforts des vrais artistes. Et donc je me suis fait une raison. Je veux être heureuse, je ne veux plus souffrir. Rien d'autre n'a d'importance à mes yeux. Alors pourquoi me torturer ainsi pour atteindre un idéal qui n'est pas fait pour moi au fond ? Par fierté ?

Tout le monde change, et nos idées changent, et nos buts aussi. Peut-être que j'ai juste changé moi aussi ? Il n'y a pas de mal. J'ai décidé de l'accepter et d'arrêter de me mettre une pression monstre pour des idéaux qui n'ont pas lieu d'être. Je veux juste aller bien, quoi que ça implique. La médiocrité ne doit pas être rejetée d'office, parfois c'est la meilleure option.

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