Cogitation quatrième

Ces dernières années, j'ai souvent entendu parler du concept d'espace liminaire. D'après google il s'agit d'un lieu vide ou abandonné qui semble étrange et souvent surréaliste où l'on peut avoir l'impression d'être observé. Il s'agit généralement de lieux de transitions, c'est pourquoi on cite souvent les aéroports comme lieux liminaires. D'habitude quand on pense à un aéroport on s'imagine une sorte de fourmilière humaine, grouillant de personnes pressées de prendre leur avion, avec un débit ininterrompu d'annonces de porte d'embarquement et de noms de gens toujours plus étranges les uns que les autres. Mais il existe une autre image de l'aéroport dans l'inconscient collectif. La version nocturne. Juste avant le dernier vol. Des gens en transit qui dorment sur des fauteuils inconfortables. De long couloirs vides couvert d'une moquette bleue foncée. Des salles d'embarquement remplies de chaises sans personne assis dessus. Des néons éclatants qui contrastent avec la solitude du lieu et le ciel noir interrompu seulement par le clignotement des lumières d'un avion solitaire qu'on peut appercevoir à travers les baies vitrée. Un reflet étrange au coin de l'œil, un autre voyageur perdu ? Non il s'agit juste d'un chariot de nettoyage avec une serpillère abandonnée.

Je suis actuellement à l'aéroport et il est 22h. Mais rien de tout cela. L'endroit est bondé, bruyant et beaucoup trop lumineux. Rien de bien romantique. Pourtant il y a quand même quelque chose d'étrange en dessous de la fourmilière. Quelque chose de mystérieux. Peut-être est-ce l'idée de toutes ces portes, de tous ces endroits interdits d'accès. Que se cache-t-il derrière ? Des agents fatigués, une machine à café, des accès vers les pistes. Sûrement. Mais tout de même, on ne peut pas être sûr. Qu'advient-il des bagages abandonnés, laissés à tourner tout seuls sur les ceintures roulantes même après que tout le monde soit parti ? Un scanner, une équipe de déminage, probablement. Mais après ? Il y a toutes sortes d'objets insolites qui transitent dans ces valises. Je me dis parfois qu'on pourrait ouvrir un musée juste basé sur ces objets. Je ne sais même pas de quels objets je parle au juste. C'est plus un concept abstrait qu'une idée concrète. C'est l'ambiance de l'aéroport.

Ici on voit des tas de gens à qui on adressera certainement jamais la parole, pourtant ils vont, de manière tout à fait naturelle, enlever leurs chaussures et étendre leurs pieds, avec ou sans chaussettes, sous le siège devant eux. Il y a peu d'autre contexte public où un tel comportement serait le moins du monde acceptable.

L'humain de l'aéroport est une créature beaucoup moins inquiète du paraître. L'humain de l'aéroport est à la fois le plus stressé et le plus détendu qui soit. Le confort passe avant tout ici. On va passer des heures dans un lieu trop climatisé, trop étroit, trop proche d'inconnus. Un endroit parfaitement inconfortable. Alors autant alléger la quantité de souffrance en se déchaussant, en mettant un jogging et en portant une saucisse rembourée parfaitement ridicule autour du coup et appeler cet chose informe un "oreiller". On fait au mieux.

J'écris, j'écris, et voilà que l'embarquement commence. Les riches d'abord. Nous autres de la classe économique, nous avons encore un bon bout de temps à patienter. Ce n'est pas grave, s'agissant d'un vol de 13h, je ne suis pas bien pressée de monter dans l'avion. J'espère que je ne serai pas à coté du fameux enfant pleurnichard, ou devant celui qui donne des coups de pieds dans le siège. Mais j'ai tendance à être fort malchanceuse de ce côté là. Ou peut-être s'agit-il juste d'un biais cognitif. J'oublie tous les vols qui se sont bien passées et je me rappelle seulement de ceux avec les enfants maudits. D'où une impression de malchance parfaitement infondée. Et juste quand j'écris ça une dame avec une poussette vient s'insérer dans la queue. Nous avons donc au moins un bébé sur le vol. Je crains le pire. Même un grand avion reste un espace réduit et les pleurs d'un enfant troublé par la pression auriculaire induite par le décollage peuvent porter fort loin.

Le moment de l'embarquement s'étire comme une anomalie dans le continuum espace-temps. Rien ne se passe. Les gens vont et viennent, la queue se forme mais personne ne monte dans l'avion. C'est un moment qu'on pourrait qualifier de liminaire. Un entre-deux. Il y a un avant et un après. En vérité c'est simple, l'embarquement n'a pas du tout commencé, les gens ont décidé d'eux même de se préparer, afin de monter le plus rapidement possible, bien que ça ne changera strictement rien à l'horaire du décollage. Mais l'humain est ainsi fait, il aime être le premier en tout. Il se sent malin, ça le rassure d'une certaine manière je suppose. Moi en attendant je reste sur mon siège et j'observe, et j'écris.

Je n'ai rien publié sur mon blog depuis quelque temps. Je me suis dit que ce serait l'occasion idéale de m'y remettre. Ici à l'aéroport j'ai beaucoup de temps à perdre. Autant faire quelque chose de productif. Et puis écrire de la sorte a le mérite de me détendre. Un peu moins que la lecture, mais ça fait quand même son effet.

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